Depuis tout petit je suis amoureux. En riant derrière l’objectif je dis que c’est mon fond de commerce. L’amour, amoureux je n’aime que ceux qui s’aiment et je ne trouve rien en personne si ce n’est la tendresse. Depuis tout petit je suis amoureux, et depuis tout petit je me déplace.
« Il n’est quartier que tu n’y sois reine à jamais de cette ville ». C’est Aragon qui l’écrit, il écrit Elsa, son amour fou, et dans le métro j’y repense, à toutes les villes où je n’ai jamais rien vu d’autre que mon amour pour les gens et l’amour que les gens se portent.
Je suis tous les endroits ou? l’amour m’a fait naître. Je suis Paris, je suis Prague, sa douceur et son amertume quand je pleurais sur ton épaule, je suis la lumière dans ta chambre à Saint- Ouen, tes rêves agités dans ta garçonnière du Lower West Side. Je suis les trains, les avions et les couloirs du métro. J’y laisse des morceaux de peau et j’en ramène des morceaux de visages. Des lits défaits et des corps endormis, des mains qui se touchent, des amoureuses qui s’enlacent.
Quand je photographie le monde, je ne peux rien en tirer que l’amour fou qui y fleurit. J’enchaine, je collectionne les histoires d’amour, les histoires de vies. On est pudiques dans l’amour, ça ne se dit pas, combien on s’aime, et puis comment. Comment on tombe amoureux quand on est pédé, quand on est gouine, quand on est trans et que le monde dehors nous tabasse. Moi maintenant je peux le dire : on s’aime mieux que les autres. On s’aime mieux que les autres parce qu’on sait ce que c’est, la violence, et la haine. On s’aime plus tendrement parce qu’on sait ce que c’est d’avoir mal. Dans nos lits on se caresse, on se touche la peau, on y laisse des traces. On s’aime sans histoires, avec des tonnes de bagages, on se demande en mariage parce qu’on pense à faire la fête, après, parce qu’on sait qu’on meure plus vite que les autres, alors on voudrait que ça dure. On a un, deux, dix amoureux. A chacun.e on dit je t’aime et à chaque fois c’est vrai, c’est immense, c’est unique dans la multitude. On s’aime mieux que le monde, puisqu’on est notre propre maison. On est tous les endroits où l’on a déposé nos blessures, tous les terrains amis, où quelqu’un les a pansé. On est leurs mains qui nous on bercé, on est la première histoire d’amour, la dernière, on devient toute chose puisqu’on aime sans limite.
Je ne séparerai point de toi ce théâtre du monde, où tout pour moi sera de toi parti – c’est Aragon, encore. Il y parle du monde qui ne portera plus jamais d’autre nom que celleux que l’on aime. Plus jamais d’autre visage.
Dans nos histoires d’amour que le monde censure, dans nos multiples morts nous renaissons toujours là où l’amour nous cueille. Là où il nous repose. Et nous offre une trève.
Toutes les images sont des photographies argentiques, en 24x36mm, prises et développées par Nanténé Traoré. Tous les textes qui sont non signés, accompagnant les images, ont été écrits par des amoureux et des amoureuses, des ami.e.s, des amant.e.s, qui ont gracieusement offert leurs archives personnelles pour donner matière à cette exposition.
Merci à elleux de documenter leur(s) tendresse(s). Ceux qui sont signés regroupent divers poèmes de l’artiste, ou de poètes.
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